David Kirk connaît bien la pression d'une victoire à domicile, puisqu'il a mené la Nouvelle-Zélande à la victoire lors de la Coupe du Monde de Rugby inaugurale en 1987, et il est convaincu que Antoine Dupont fera de même, 36 ans plus tard.

Dans une semaine (vendredi 8 septembre), Dupont sera à la tête des Bleus pour le match d'ouverture le plus attendu de l'histoire de la Coupe du Monde de Rugby. Le pays hôte affrontera les adversaires de la poule A, la Nouvelle-Zélande, au Stade de France (coup d'envoi à 21h15, heure locale).

Kirk sera présent en personne et prévoit de s'installer dans la région de Bordeaux pendant un mois environ, avec un voyage rapide en Nouvelle-Zélande entre les deux, avant de se rendre à Paris pour les demi-finales et la finale, pour ce qu'il espère être un quatrième titre historique pour les All Blacks.

Cependant, l'ancien capitaine des tout-noirs pense que la France est bien placée pour devenir la deuxième équipe de l'hémisphère nord à être sacrée championne du monde, après l'Angleterre, il y a vingt ans.

« Avant le match contre l'Afrique du Sud, je pense que je les aurais écartés (les Springboks) du trio de tête pour leur préférer l'Irlande, la France ou les All Blacks. Ce résultat change un peu la donne, mais ils devront jouer comme ça plus d'une fois. Je pense que les All Blacks peuvent gagner, et j'aimerais les voir gagner, mais je ne pense pas qu'ils devraient être considérés comme les favoris », estime David Kirk, auteur d'un essai lors de la victoire 29-9 sur la France lors de la finale de 1987.

« La France a vraiment de bonnes chances de l'emporter. Elle joue très bien depuis deux ou trois ans et a réussi à trouver le bon équilibre entre le flair et l'intuition tout en étant disciplinée et très structurée dans ses phases statiques. C'est une bonne équipe, l'Irlande est une bonne équipe et, comme nous l'avons vu avec l'Afrique du Sud, si elle fait courir ses joueurs importants et qu'elle prend le dessus, elle sera également très difficile à battre.

« Selon moi, les favoris sont la France et l'Irlande et, toutes choses égales par ailleurs, si les deux équipes jouent au mieux de leurs capacités et si la France joue à domicile, je pense que la France peut gagner. »

UNE VAGUE DE SOUTIEN

L'avantage du terrain est quelque chose qui a bien servi la Nouvelle-Zélande lors des Coupes du Monde de Rugby, puisque deux de ses trois titres ont été remportés à domicile, en 1987 et 2011, la France étant l'équipe battue lors des deux finales.

Pour la France, cependant, l'expérience a été différente lorsqu'elle a organisé le tournoi pour la dernière fois en 2007. Une défaite face à l'Argentine lors de la soirée d'ouverture, puis lors de la finale de bronze, a donné aux supporters des Bleus un sentiment de frustration.

Ayant été au cœur de la préparation de la Coupe du Monde de Rugby 1987 et ayant vu l'effet qu'elle a eu sur la nation, Kirk connaît les défis uniques que représente l'organisation d'un tel tournoi.

« Cela va dans les deux sens, il y a un poids en termes d'attentes, mais il y a aussi une vague nationale de soutien, et c'est difficile pour les adversaires », affirme Kirk, qui a été intronisé au Hall of Fame de World Rugby en 2011.

« Cette équipe française est aussi forte que n'importe quelle équipe française en préparation, avec la façon dont elle a joué ces dernières années, de manière très professionnelle avec sa discipline, et la façon dont ses joueurs jouent bien chaque semaine dans les compétitions majeures au niveau des clubs et au niveau international.

« Je pense donc qu'elle sera probablement l'équipe française la plus forte et la mieux préparée mentalement avant une Coupe du monde, et je pense qu'elle sera beaucoup moins susceptible de faire des fautes que certaines des équipes précédentes. »

Demi de mêlée stylé avec une intelligence aussi aiguisée en dehors que sur le terrain, David Kirk n'a pas hésité lorsqu'on lui a demandé de choisir un vainqueur entre la France et l'Irlande.

« La France. Elle a beaucoup contribué à la Coupe du monde au fil des ans et ce serait bien qu'elle soit reconnue comme championne du monde. »

DUPONT MONTRE L'EXEMPLE

Les demi de mêlée ont été les capitaines des deux premières équipes victorieuses de la Coupe du Monde de Rugby - Kirk en 1987 et l'Australien Nick Farr-Jones en 1991 - et Dupont, Joueur World Rugby de l'Année en 2021, mériterait de devenir le troisième, selon l'ancien All Black.

« C'est un joueur brillant, mais pas seulement, c'est aussi un leader brillant. Je pense qu'il a très bien dirigé l'équipe. Tous les leaders doivent diriger en jouant bien eux-mêmes, et c'est ce qu'il fait à merveille », indique-t-il.

« Parce qu'il est un joueur tellement complet, tellement polyvalent - il court, il fait des passes - il amène beaucoup d'autres joueurs dans le jeu, ce qui permet à ceux qui l'entourent d'être bien mis en valeur.

« Enfin, je pense qu'il a une tête bien faite, il comprend le tempo et le rythme du jeu et il sait flairer les faiblesses de l'adversaire, qu'il s'agisse de pousser ou de construire un maul, qu'il s'agisse de faire un dégagement au pied ou de jouer côté fermé, il a une bonne intuition de l'endroit où il faut jouer. »

Antoine Dupont n'a perdu qu'un seul de ses 17 tests en tant que capitaine, contre l'Irlande, vainqueur du Grand Chelem, lors du Tournoi des Six Nations de cette année.

Selon Kirk, ce qui rend l'Irlande si dangereuse, ce n'est pas seulement son système bien huilé, mais aussi sa capacité à changer son système de jeu, à s’adapter si ça ne se passe pas comme elle le souhaiterait.

« L'Irlande a une façon très précise de jouer au rugby qui n'est pas si mécanique, si structurée et si organisée qu'elle n'est pas en mesure de profiter des opportunités qui se présentent. Ils sont très bien entraînés et organisés et leurs phases statiques fonctionnent très bien, même si la blessure de (Cian) Healy sera un revers pour eux », poursuit l'homme de 62 ans, qui a passé les 25 dernières années de sa vie professionnelle dans le domaine de l'investissement.

« Ils sont agressifs, ils ont de bonnes positions dans les breakdown, et ils ont appris à faire très peu d'erreurs tout en jouant à un haut niveau d'intensité, et c'est une exigence absolue.

« Il ne faut pas non plus sous-estimer leurs trois-quarts centre, ils ont de la puissance au milieu de terrain et ils peuvent finir, c'est donc une équipe très complète. Il y a une discipline et une organisation dans leur défense, tout comme dans leur jeu général. »

EN ATTENDANT LES PHASES FINALES

Avec la France, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande, l'Afrique du Sud et l'Écosse dans les poules A et B, au moins une des cinq premières équipes du classement mondial World Rugby présenté par Capgemini quittera la compétition avant la phase à élimination directe.

Pour Kirk, l'une des choses importantes à surmonter pour l'Irlande sera la psychologie de l'équipe qui n'a jamais dépassé les quarts de finale.

« Le profil de la Coupe du monde change lorsque vous passez de la phase de poules à la phase à élimination directe, je me souviens très bien de notre Coupe du monde », se souvient-il.

« J'étais assez nerveux avant la finale parce que c'était la plus importante et que nous jouions contre la meilleure équipe du tournoi. Mais j'étais surtout nerveux avant le quart de finale (une victoire 30-3 contre l'Écosse) parce que c'était la première fois que l'on jouait un match à élimination directe et que l'on savait que si l'on perdait ce match, on rentrait chez nous.

« Perdre un quart de finale, ça prend aux tripes. L'Irlande aura donc les nerfs à vif lors de son quart de finale, quel que soit son adversaire, parce qu'elle est déjà passée par là et qu'elle voudra à tout prix ne pas perdre. Et parfois, on peut être trop nerveux. »

Quant à son pays d'origine, la Nouvelle-Zélande, Kirk est persuadé que les Néo-Zélandais ne seront pas trop marqués mentalement par leur défaite sans précédent contre l'Afrique du Sud (35-7) vendredi 25 août, malgré le score « embarrassant ».

Kirk était l'un des spectateurs incrédules parmi les supporters néo-zélandais, mais il est persuadé que les All Blacks sauront trouver la bonne réponse.

« Il est hors de question qu'ils rejouent aussi mal. C'était embarrassant et personne n'aime être embarrassé, personne n'aime savoir qu'il a laissé tomber l'équipe. Il n'y a pas d'excuses et ils ne chercheront pas d'excuses, ils seront simplement en colère contre eux-mêmes et sauront qu'ils devront faire mieux », affirme-t-il, sans ménagement.

« Ce que je pense, c'est qu'il est clair - pour eux et pour les autres - qu'il faut être capable de jouer avec un certain niveau de présence physique, d'intensité et de précision, en particulier chez les avants, pendant une longue période. Il faut sans cesse retourner au turbin.

« Je me souviens que nous avions été carrément malmenés par les Français lors du dernier test de 1986 à Nantes, et nous ne l'avions pas oublié. Un autre niveau d'intensité physique était nécessaire, et je pense que ces All Blacks l'auront appris. »

S'ATTENDRE A L'INATTENDU

Si une équipe de la poule A ou de la poule B remporte la Coupe du Monde de Rugby 2023, personne ne pourra dire qu'elle n'a pas méritée d'être couronnée championne en raison de la qualité des équipes en présence.

Mais Kirk est également très intéressé par ce qui se passera dans les autres poules, où un certain nombre d'équipes apparaissent en construction étant donné que leurs équipes d'entraîneurs sont relativement nouvelles.

« Je suis très enthousiaste pour cette Coupe du monde, je pense qu'elle est très ouverte », dit-il.

« Comme beaucoup de gens, j'aurais préféré que les cinq meilleures équipes ne soient pas dans la même moitié du tableau, car il aurait été intéressant de voir l'Écosse aller un peu plus loin. Je pense qu'ils auront du mal à atteindre les quarts de finale en raison du tirage au sort qui ne leur a pas été favorable. Mais c'est possible, ils pourraient bien contrarier l'Afrique du Sud et l'Irlande. Je ne dis pas que c’est probable, mais c'est possible.

« Dans les autres poules, il s'agit plus de savoir qui peut se reprendre, qui peut se surpasser, qui peut faire ce que personne ne s’attend à ce qu'ils fassent. L'Argentine et les Fidji sont les deux équipes que je vois le mieux, et l'Argentine en est tout à fait consciente. Les Argentins en sont conscients. Ils chercheront à terminer en tête de leur poule.

« Il sera intéressant de voir à quel point les quarts de finale (entre la poule A et la poule B) auront un impact sur ces équipes avant les demi-finales, lorsqu'elles joueront contre une équipe moins forte et qui n'a pas eu un parcours aussi difficile jusqu'à présent. Toutes ces équipes seront très concentrées sur leur victoire en quart de finale, et elles sortiront d'une période faste. Mais sur un coup, le Pays de Galles pourrait faire quelque chose en demi-finale, l'Argentine pourrait faire quelque chose, et vous pourriez avoir une finale surprenante.

« Je pense que l'une des choses intéressantes sera la montée en puissance des équipes du tier 2 - je pense que nous allons voir les Fidji bien jouer, je pense que nous allons voir les Samoa bien jouer. Et il sera intéressant de voir si la Géorgie a beaucoup progressé après avoir battu le Pays de Galles entre deux Coupes du monde. »