Tout de suite dans le bain. Nommés fin décembre à la tête du XV de France féminin, les anciens coachs-adjoints Gaëlle Mignot et David Ortiz n’ont pas eu le temps de prendre leurs marques que tout de suite il a fallu imposer la leur. Une passation de pouvoir naturelle après une Coupe du Monde de Rugby 2021 vécue difficilement en interne animée d’entretiens collectifs et individuels, de rassemblement dès janvier, d’explications.

Et parmi les décisions d’importance au tout début de leur mandat, celle de retirer le capitanat à Gaëlle Hermet et le confier à Audrey Forlani, après avoir pris le temps de sonder les unes et les autres, leur faire comprendre qu’une nouvelle aventure débutait et qu’il fallait reprendre de zéro, est finalement passée crème.

Une manière de faire qui a finalement convenu à l’ancienne capitaine Gaëlle Hermet qui a de fait été mise en concurrence, se retrouvant parfois même remplaçante sur certaines rencontres alors qu’elle en avait perdu l’habitude. « En fait, on a beaucoup échangé sur le sujet et ils m'ont expliqué aussi la raison de pourquoi ils ne voulaient pas me reconduire en tant que capitaine », révèle-t-elle. « Et bien sûr que je comprenais aussi, même si, comme je leur ai dit, sur le moment ce n’était pas évident à encaisser.

« Quand on a été capitaine pendant cinq ans, forcément j'ai beaucoup d'attaches à ce rôle-là et pour ce que j'ai pu donner à cette équipe. Mais je vais quand même continuer à le faire et je continue à le faire parce que ça fait partie de ma personnalité. Mais ça a été très bien amené et très bien compris parce qu’il s’agit de repartir de zéro, reconstruire, offrir la possibilité à toutes les joueuses d’être au même niveau, mais aussi pour qu'on puisse se tirer les unes et les autres vers le haut. Et par rapport à mon statut de remplaçante, alors oui, probablement, c'est un statut que je connais un peu moins. Mais voilà, ça peut changer. Rien n'est acté, rien n'est figé.

« Mais surtout, le plus important pour moi, c'est de prendre beaucoup de plaisir, me donner à 200 % pour prouver que je mérite encore ma place, que je suis encore présente, que je ne compte pas laisser prendre ma place par les petites jeunes ! Mais plus sérieusement, cela crée réellement une dynamique d'équipe. Au-delà de ce statut de capitaine, c'est créer une réelle dynamique d'équipe. »

Pour Gaëlle Mignot, elle-même ancienne capitaine emblématique du XV de France féminin, le bilan de ce changement de brassard de capitaine est positif. « Je pense qu'Audrey répond tout à fait aux attentes qu'on avait sur elle ; elle est moteur au sein du groupe », affirmait-elle juste avant le dernier match.

« C'est la leader par l'exemple, une leader de combat. Audrey, ce n'est pas forcément quelqu'un qui parle tout le temps, mais qui est très suivie, très écoutée. Elle a les mots justes, elle sait accompagner les filles et je pense qu'elle montre aussi, par ses performances, qu'elle est bien présente dans ce groupe France. Donc on est vraiment très content de ce qu’Audrey a produit. »

UN XV DE FIN AUSSI FORT QU’UN XV DE DEPART

La mise en concurrence des joueuses entre elles est clairement un axe de développement majeur du nouveau staff afin de tirer le meilleur de chacune. « Depuis le début de ce Tournoi, on essaie de mettre en place cette forme de stratégie : on a vraiment un quinze de départ et un quinze de fin », théorise David Ortiz.

« L'objectif, c'est d'avoir un quinze de fin aussi fort qu'un quinze de départ. C'est vraiment une vision globale du match qu'on doit avoir. Toute la réflexion qu’on porte est liée à cette dimension stratégique vis à vis de nos opposants, de nos adversaires. Et de pouvoir être compétitrice sur l'ensemble des 80 minutes. 

« Il y a la profondeur du banc aussi. Aujourd'hui, on a la chance en France - quand on voit les performances des U18 et même des U20, qu'on voit notre vivier, même au sein du quinze de France féminin – d’avoir de vrais atouts qu'il faut savoir exploiter. »

« Il y a beaucoup de points positifs : la construction de ce groupe, la construction de notre projet, la mise en place de bases solides », abonde Gaëlle Mignot. « C'est ce qu'on souhaite ; que chacune arrive à trouver sa place dans le groupe. Dès lors qu’elles portent le maillot, chacune apporte le meilleur d'elle-même. On est très content de ce qu'on voit au quotidien. Les filles s'investissent, le staff s'investit. Tout le monde est ultra concerné par ce nouveau projet. On a des entraînements de qualité. On voit qu'on arrive à remettre en place des choses dans notre projet. Donc on est sur une très bonne dynamique. »

Bien avant le début du Tournoi, Gaëlle Mignot confiait d’ailleurs à World Rugby que le bilan de cette première pierre serait « au-delà du résultat sportif » (même si chacun espérait un Grand Chelem), mais que l’important était avant tout « de mettre des bases solides pour notre projet ».

D’autant que le calendrier est très serré car il ne reste plus qu’un peu plus de deux ans avant la Coupe du Monde de Rugby 2025 en Angleterre. « Il nous restera deux Tournois des Six Nations et deux tournées d'automne avant la Coupe du Monde. La Coupe du Monde, c’est littéralement demain, donc il faut se lancer dans le projet et il faut y aller à fond. On n'a pas trop le temps de tâtonner », confiait-elle encore.

Et au lendemain du Tournoi, cette première étape semble être validée. « Au niveau du jeu et des bases qu'on est en train de mettre en place, oui, on est là où on voulait être », confirme la sélectionneure. « On a fait des gros efforts sur notre circuit défensif. Offensivement, on voit qu'on commence à trouver nos repères. On a souhaité prendre des initiatives aussi dans notre jeu et je pense que les filles rentrent tout à fait dans le projet de jeu. L'état d'esprit du groupe est quelque chose de pour nous de primordial.

« Aujourd'hui, je pense qu'on est vraiment où on veut être. Chacune arrive à trouver sa place, chacune s'intègre correctement au niveau du collectif, qu'on soit sur la feuille ou pas sur la feuille. Tout le monde a un rôle ultra important et aujourd'hui, c'est le message qu'on veut. Les filles l’ont très bien compris et se donnent à fond jusqu'à la dernière minute. »

UNE FEMINISATION ASSUMEE

Outre la multiplication des échanges au sein du groupe, les efforts de pédagogie pour expliquer le projet et les décisions, le binôme a également tenu à bâtir des ponts entre les différentes factions du rugby français, de l’académie au XV masculin, en passant par les U18 et les U20.

« C'est une réelle volonté fédérale d'uniformiser les équipes et les projets de jeu, de travailler des plus jeunes jusqu'à l'équipe phare qu'est le quinze de France féminin pour travailler vraiment en collaboration », explique Gaëlle Hermet. « Qu'une jeune potentiellement moins de 20 qui peut arriver avec nous sur le quinze de France féminin connaisse le projet de jeu car elle l'a déjà aussi en moins de 20 ans. »

« Tous ces échanges, tous ces gens-là, les U18, les U20, c'est l'avenir aussi de cette équipe. Ce sont elles qui vont nous mettre un peu plus dehors à la porte. Mais c'est pour ça, c'est hyper important », rigole-t-elle.

« Gaëlle (Mignot) est quelqu'un qui a connu le milieu du rugby féminin, qui l'a vu évoluer. Elle connaît très bien le système, elle connaît très bien le fonctionnement ; c’est une réelle plus-value. Et au-delà de ça, c'est la féminisation aussi des staffs avec des anciennes joueuses. C'est une réelle plus-value parce que c'est aussi cette façon-là de transmettre aux équipes toute l'histoire du rugby féminin.

« Sur les moins de 20 ans aussi il y a un staff qui s’est féminisé avec Elodie Poublan qui est une ancienne joueuse. C'est vraiment quelque chose qui est hyper positif et qui va encore plus se démocratiser sur les années à venir. »

Au fil des semaines, à mesure que le groupe a grandi, un esprit de cohésion s’est fait jour. Entre sorties au restaurant tous ensemble, cours de cuisine et autres activités, le nouveau staff a réussi à recréer un esprit d’équipe et de solidarité qui s’était progressivement délité.

« Quand on part sur des campagnes comme là, sur deux fois trois semaines, sans rentrer à la maison, en enchaînant les matchs, les journées d'entraînement, il est important de trouver un équilibre dans la vie de groupe », explique David Ortiz.

« Et pour ça, on essaie de mettre en place des cadres de vie, des constructions de moments d'équipe où tout le monde participe, staff et joueuses. L'idée, c'est d'arriver à trouver ces petits moments qui nous permettent un petit peu de penser à autre chose que du rugby tout en restant focus. C'est des choses qui doivent aussi nous permettre d'avancer.

« Par exemple, les cours de cuisine permettent aussi de donner des moyens aux joueuses, de peut-être de cuisiner à bon escient par rapport à une performance sportive ou en tout cas leur apporter des connaissances spécifiques sur la nutrition. On essaie d’utiliser aussi des leviers comme ça en parallèle. Mais c'est aussi surtout trouver des leviers d’équilibre d'équipe. »

En résumé, en quelques mois, le XV de France dans son ensemble a su construire une nouvelle dynamique et une nouvelle confiance à la fois sur et en dehors du terrain. Après un retour dans les clubs, la prochaine échéance des joueuses et du staff sera cet automne avec le WXV.

Trois journées de matchs sont déjà programmées en Nouvelle-Zélande les 21 et 28 octobre ainsi que le 4 novembre.