La joie qui se lisait sur les visages du public baigné de soleil au Churchill Park de Lautoka lorsque les Fijian Drua ont accroché les Crusaders lors de la troisième journée du Super Rugby Pacific le week-end dernier en disait long sur la passion que les habitants des îles éprouvent pour le rugby.
Voir les Drua renverser le match face à une équipe qui les avait battus 61-5 la dernière fois et qui domine le Super Rugby depuis des années est un événement que la foule présente et exaltée n'est pas près d'oublier. D'autant plus que le rugby a été très peu pratiqué dans les îles ces dernières années en raison du Covid-19.
Les tribunes pleines à craquer ont été secouées dès que les drapeaux ont été levés pour confirmer que la pénalité de Kemu Valetini avait permis aux Drua de remporter le match, 25-24, marquant ainsi la dernière étape de l'incroyable parcours de l'une des plus récentes formations du rugby professionnel, constituée à la hâte à temps pour le début du Super Rugby Pacific 2022.
Cela a donné aux supporters fidjiens passionnés de rugby une nouvelle équipe à encourager, en plus des Flying Fijians, qui ont été presque invisibles depuis la dernière Coupe du Monde de Rugby.
You think the crowd enjoyed that one?!
— Super Rugby Pacific (@SuperRugby) March 11, 2023
Iosefo Masi brings the house down in Lautoka 🔥#DRUvCRU #SuperRugbyPacific pic.twitter.com/I7hzc1VtpX
L'équipe nationale senior masculine à XV des Fidji n'a joué que deux fois à domicile depuis juin 2019, mais elle devrait affronter les Tonga à Lautoka en juillet prochain dans le cadre d'une tournée de cinq matchs avant la Coupe du Monde de Rugby 2023.
À sept mois du début du tournoi, le nouveau sélectionneur Simon Raiwalui ne dispose que d'une petite fenêtre pour changer les choses, mais une chose qu'il considère comme non négociable est de s'assurer que l'équipe renoue avec son public.
« Le plus important pour nous, c'est de faire en sorte que l'aspect culturel soit pris en compte. Nous ne changerons pas grand-chose à notre jeu, les joueurs s'en chargeront au début, mais nous chercherons vraiment à rétablir le contact avec les Fidji », explique le successeur de Vern Cotter dans une interview à World Rugby.
« Avec le Covid-19 et l'impossibilité de se côtoyer ou de sortir, ça a été difficile, et évidemment nous n'avons pas eu de matchs à domicile pendant deux ans à cause du Covid-19 et nous n'avons pas pu voyager.
« Je pense donc que l'un de mes principaux objectifs est que, si nous voulons nous appuyer sur le pays et lui demander de nous soutenir, nous devons vraiment investir dans nos équipes, sortir et être vus par le public. »
LE TALENT DES FIDJI
Dans ses précédentes fonctions de directeur général de la haute performance des Fidji, Raiwalui a été l'un des responsables du lancement réussi de l'équipe. Maintenant qu'il est à la tête des Flying Fijians, il va pouvoir bénéficier de leur progression fulgurante, car l'élargissement du vivier de joueurs exposés à la compétition de haut niveau ne peut que renforcer son pouvoir de sélection.
Au cours de leur première saison, les Drua ont intégré 16 joueurs dans le groupe de l'équipe nationale pour la Pacific Nations Cup et le pourcentage de joueurs évoluant à domicile devrait encore augmenter à temps pour la Coupe du Monde de Rugby 2023 si la franchise financée par World Rugby continue d'impressionner.
« L'opportunité de jouer les Crusaders, qui ont été champions à plusieurs reprises, à domicile, est évidemment un grand pas en avant pour nous. Je suis immensément fier de l'effort des garçons et du staff. Ce fut une expérience incroyable », souligne l'ancien joueur de Newport, des Sale Sharks et du Racing 92.
« Quand vous parlez de piste courte, c'était vraiment une piste courte en ce qui concerne la préparation des Drua. On nous a dit à la fin du mois d'août (2021) que nous devions mettre en place un effectif et un staff en un mois, ce qui est inédit à ce genre de niveau.
« Je trouve que ce que nous avons obtenu l'année dernière est énorme. Beaucoup de joueurs n'avaient pas joué depuis 18 mois, probablement 90 % d'entre eux n'avaient jamais évolué dans un environnement professionnel auparavant, et pourtant nous avons participé à presque tous les matchs.
« Le travail effectué au cours de cette première saison et au début de cette deuxième année a été énorme et vous pouvez en voir les bénéfices en termes de systèmes de jeu, de condition physique et de discipline. Les garçons sont devenus des professionnels et les années 3 et 4 seront encore meilleures.
« Nous n'avons jamais eu de difficultés à trouver des talents et maintenant nous avons l'opportunité de les développer au sein de notre système et ils ont la possibilité de rester chez eux et de se développer dans l'une des meilleures compétitions au monde. C'est tout bénéfice pour le rugby fidjien. »
COMBLER LE FOSSE
Les Fijian Drua sont un exemple classique de la manière dont World Rugby a tenté de combler le fossé au niveau international en finançant de nouvelles filières de développement des joueurs et en créant des compétitions de haut niveau qui exposent les joueurs des nations en développement à un meilleur niveau de compétition.
The reason🤝🏿 Vinaka Lautoka, Suva next💯 #TosoDrua #PacificAusSports pic.twitter.com/sIe7Y8TrEb
— Fijian Drua (@Fijian_Drua) March 12, 2023
« Pour nous, c'est ce qui manquait. La filière allait jusqu'aux U20 et aux Warriors, qui sont techniquement des U23, mais après ça, on jouait dans la compétition nationale ou on partait à l'étranger. Ce que les Drua nous ont donné, c'est l'opportunité d'avoir jusqu'à 40 joueurs qui vivent et respirent le rugby de manière professionnelle chez eux, aux Fidji, et ça a évidemment élargi notre vivier de talents, notre profondeur de jeu.
« Nous avons évidemment été très dépendants de nos joueurs basés en Europe, mais maintenant nous avons plus de 40 joueurs de plus dans nos rangs qui n'étaient probablement pas tous là il y a 18 mois, donc c'est une énorme réussite pour le rugby fidjien et nous ne ferons qu'en bénéficier pour avancer.
« Le nombre de joueurs sélectionnables la première année était très élevé et, avec le succès et l'évolution constante des joueurs, il y en aura beaucoup qui se porteront candidats à la sélection, ce qui est évidemment un bon signe. »
Les Fidji doivent se réunir pour la première fois sous la direction de Raiwalui au début du mois de juillet, avant d'affronter les Tonga et les Samoa plus tard dans le mois, puis le Japon, la France et l'Angleterre au mois d'août.
Ces cinq matchs donneront à Raiwalui une bonne idée de la situation de son équipe éclectique, venue du monde entier, avant qu'elle ne se rende en France pour les matchs de la poule C contre le Pays de Galles, l'Australie, la Géorgie et le Portugal.
« En raison des circonstances, il a été difficile d'obtenir des dérogations et de constituer notre équipe. Le mois de novembre dernier, nous n'avons pu choisir personne de l'hémisphère sud et nous avons donc dû sélectionner une équipe composée exclusivement de joueurs basés en Europe. En Nouvelle-Zélande, nous avons été en quarantaine pendant deux semaines avant d'affronter les All Blacks.
« Il y a donc eu des défis à relever au cours de ces trois années, mais nous avons hâte de préparer la Coupe du monde maintenant.
« Nous n'avons pas le temps de réinventer la roue. Nous allons travailler sur ce qui a été mis en place au cours des trois dernières années, notamment sur le plan tactique, et nous allons essayer de peaufiner tout ça afin d'arriver à la Coupe du monde dans les meilleures conditions possibles. Je pense que ça nous permettra d'être dans la bonne position. »
C COMME COMPETITIVITE
Raiwalui a remporté 43 capes pour les Fidji en tant que deuxième-ligne et a été capitaine de son pays à 10 reprises. Il a également connu une carrière réussie en club en Angleterre, au Pays de Galles et en France avant de se lancer dans le métier d'entraîneur.
Avant de retourner aux Fidji juste avant que la pandémie mondiale ne frappe, Raiwalui était l'entraîneur adjoint des avants des Wallabies et il raconte que le temps passé à travailler avec Michael Cheika, l'entraîneur en chef de l'époque, a joué un rôle déterminant dans son développement en tant qu'entraîneur.
« L'expérience avec l'Australie a été formidable », affirme-t-il. « J'ai eu l'occasion de travailler avec des joueurs de très grande qualité dans un système axé sur la réussite et j'ai pu travailler avec de grands entraîneurs. Cheik a joué un rôle important dans mon développement. C'est l'un des meilleurs entraîneurs que j'ai côtoyés. Il est très fidèle et vous pousse à avoir confiance en vos capacités, il vous donne les moyens d'agir et c'est l'une des plus grandes influences de ma carrière. »
Cheika est depuis parti en Argentine, ce qui prive Raiwalui de la possibilité de se mesurer à son ancien mentor lorsque les Fidji affronteront l'Australie, entraînée par Eddie Jones, à Saint-Étienne le 17 septembre.
Le Pays de Galles, premier adversaire des Fidji à Bordeaux une semaine plus tôt, a également un « nouveau » sélectionneur en la personne de Warren Gatland.
Les Fidji clôtureront ensuite leurs matchs de la poule C en affrontant la Géorgie, également à Bordeaux, le 30 septembre, et le Portugal, à Toulouse, le 8 octobre.
« Regardez une équipe comme le Portugal, ils proposent une belle forme de rugby, ils jouent un jeu très ouvert et ils aiment attaquer ; et leurs phases statiques sont bonnes. C'est fantastique qu'ils se soient qualifiés pour la Coupe du monde et je pense qu'ils vont captiver pas mal de spectateurs.
« Nous connaissons la Géorgie, nous l'avons jouée plusieurs fois maintenant, et elle ne cesse de progresser. Et qu'on ne se mette pas le doigt dans l'œil avec ce qui se passe en ce moment, le Pays de Galles et l'Australie seront à leur apogée lors de la Coupe du monde », ajoute-t-il.
« C'est une poule difficile, mais toutes les poules sont difficiles et je pense que ce sera probablement l'une des Coupes du monde les plus ouvertes de tous les temps. »