Chloé Pelle a encore ce moment gravé dans sa mémoire. Lorsqu’elle quitte seule le tunnel qui la mène sur la pelouse de l’Allianz Stadium de Sydney ce 29 janvier 2023 pour disputer la demi-finale du HSBC Sydney Sevens (victoire 20-7 contre les États-Unis), elle sait que cette rencontre n’aura pas la même portée symbolique qu’une autre. C’est son 200e match sur le circuit.
Elle ressent une immense fierté, mais très vite se remet dans sa bulle. « Il y a 20 mètres où on profite, avant que les filles suivent, et après c’est le match. Il ne faut pas trop se perdre de trop dans l’émotion. Je profite tout en restant lucide », dit-elle.
Chloé Pelle est seulement la deuxième joueuse française (derrière Camille Grassineau et ses 206 matchs aujourd’hui) à passer cette barre réputée infranchissable pour tellement de joueuses. Elle entre dans ce club ultra verrouillé uniquement fréquenté par une poignée de joueuses dans le monde – on parle d’une dizaine seulement.
« Ca ne peut pas être uniquement un épiphénomène », confie-t-elle. « C’est symbolique. Ça fait toujours plaisir de faire le 200e. Surtout gagner et d’aller en finale là-dessus, forcément ça fait du bien.
« J’avais demandé aux filles : comme cadeau pour mon 200e, je veux que vous m’offriez une finale (finale finalement perdue face à la Nouvelle-Zélande, ndlr). Et elles ont réussi. Ça fait toujours plaisir et j’espère qu’il y en aura encore beaucoup. Il faut encore travailler pour que d’autres filles plus tard puissent arriver à 200. Avec Camille nous sommes les premières, mais on ne veut certainement pas être les dernières. »
Derrière elles pourtant, après les retraites de Fanny Horta (184 sélections) et Marjorie Mayans (179), Shannon Izar (143) et Carla Neisen (133) semblent encore loin du record.
Des moments forts
Son premier match sur le circuit était officiellement à Amsterdam en 2013 lors de la toute première saison du World Rugby Sevens Series, même si elle a eu l’occasion de disputer d’autres tournois avant. Si elle ne se souvient évidemment pas de chaque rencontre, au moins garde-t-elle en mémoire un certain nombre de faits marquants comme cette toute première finale jouée à Kitakyushu 2018 ou la fois où elles ont battu les Black Ferns Sevens à Dubaï en 2019. « J’essaie surtout de me projeter vers la suite. On a fait deux finales sur le World Series et maintenant on en veut d’autres », assure-t-elle. Après ces deux médailles d’argent, dont la dernière, donc, obtenue à Sydney fin janvier 2023, elle assure : « ce serait bien d’avoir l’or un jour. L’argent c’est bien, mais l’or c’est mieux !
« On sait qu’on a encore beaucoup de travail à faire pour être constantes. On sait que nous sommes capables d’atteindre la finale, on l’a prouvé. Maintenant, il faut être capable de l’atteindre plus souvent. On est sur le bon chemin, je suis assez optimiste pour l’avenir, sachant que le sept est assez étrange. C’est d’ailleurs pour ça qu’on aime ce sport. »
Pour fêter cette 200e sélection, Chloé a eu droit à un petit bouquet dans le secret du vestiaire, accompagné d’une petite carte avec des mots d’encouragement de la part des copines. Quelques mois auparavant, elle était sacrée vice-championne du monde de rugby à sept et encore un moment avant vice-championne olympique. Deux échéances qui n’ont rien changé dans sa vie perso. « Dans la rue on reste anonymes et ça me va bien comme ça », sourit-elle.
Chloé a connu les principaux podiums, mais toujours sur la deuxième marche. Et c’est de poser le pied sur la première qui la motive encore à continuer à 33 ans. Chose qui pourrait arriver lors des JO de Paris 2024 ?
« Déjà, faire les Jeux à domicile, ce serait extraordinaire », assure-t-elle. « Si j’ai la chance de pouvoir continuer à jouer et de pouvoir faire partie de l’équipe qui joue, c’est l’objectif. Après, ça reste une sélection, il y a beaucoup de très bonnes joueuses en équipe de France. J’espère que j’y serais et je vais tout faire pour. Mais si je n’y suis pas, ça voudra dire qu’il y a des filles qui sont meilleures, qui font plus avancer l’équipe, ce qui sera une bonne nouvelle pour l’équipe.
« J’aimerais être championne olympique avec l’équipe de France de rugby à 7. Quand j’ai un petit coup de mou, quand j’ai pas envie d’aller à l’entraînement – des fois on fait des entraînements toute seule et il pleut, il fait froid – mais quand tu veux être championne olympique, il faut que tu fasses tout pour : vas-y, lève toi, tu auras froid, tu seras fatiguée, mais à la fin tu seras contente de l’avoir fait. C’est un rêve d’être championne olympique. »
Elle a commencé une formation pour devenir arbitre
Quoiqu’il en soit, Chloé Pelle n’envisage pas une vie en dehors du rugby. C’est notamment pour cela qu’elle a entamé en 2022 une formation pour devenir arbitre. Elle a passé l’écrit du fédéral et il lui reste l’oral à passer en mai. Il lui reste 18 mois pour parfaire sa formation.
Arbitre, c’est finalement une suite logique pour elle. « Depuis que j’ai commencé le rugby, je me pose toujours plein de questions un peu bizarres sur les règles, pour toujours trouver la limite. Et donc pour trouver la limite, forcément il faut connaître la règle », explique-t-elle.
Ce sont des discussions poussées avec l’ancien arbitre pro Salem Attalah qui l’ont poussée et convaincue à se lancer dans cette voie. « Ça permet d’avoir une autre perspective, de connaître un peu mieux les règles et de savoir un peu mieux comment les arbitres fonctionnent, donc ça ne peut qu’aider sur le terrain », dit-elle.
« Quand je suis arbitre, j’ai tellement envie de dire : ‘mais joue ! Regarde ! Tu peux faire ça ! Gratte ! Le ballon te tend les bras ! Joue la touche vite !’ J’ai tellement envie de faire ça… le but sur le terrain est que les joueurs s’amusent. Mais c’est vrai qu’il faut que je me restreigne : en tant qu’arbitre il ne faut pas que je dise tout ça… Franchement, je me fais plaisir et je m’amuse bien. C’est une autre façon de voir le jeu. »
Son objectif ? Devenir arbitre sur le circuit après avoir été l’une des joueuses les plus marquantes des dix dernières années. « Si je suis assez bonne… ce n’est pas dit. On va voir ce que ça va donner », dit-elle prudemment. « Mais oui, j’aimerais beaucoup arriver sur le circuit après les Jeux pour continuer à être dans ce monde du sept. »
Ingénieure en cybersécurité qui ne travaille qu’à 10 % du temps (21 jours dans l’année) et passionnée par la cryptographie – l’étude des codes secrets – elle a trouvé dans la vie civile le parfait parallèle avec sa vie de sportive de haut niveau.
« Il ne faut pas se mentir : quand on travaille en cybersécurité, il faut être un peu parano. Il faut toujours penser à ce que l’attaquant pourrait faire, quelle idée tordue il pourrait avoir. C’est ce que j’aime bien faire : penser à des idées tordues pour contourner les systèmes de sécurité. »
Comme dans le rugby en somme : « il faut des idées tordues pour contourner les défenses adverses, oui ça marche aussi », rigole-t-elle.