Une année peut faire toute la différence. Le 20 novembre 2021, les joueuses néo-zélandaises étaient assises dans le vestiaire de Castres, dépitées après la défaite 29-7 contre la France.

Ce revers de quatre essais au Stade Pierre-Antoine a marqué la fin d'un retour décevant des Black Ferns sur la scène internationale.

Quekques temps plus tôt, l'Angleterre avait battu la Nouvelle-Zélande sur des scores records à Exeter et Northampton avant que l'équipe ne se rende à Pau puis à Castres, où les Bleues se sont également montrées trop fortes.

Ce fut un rappel à l'ordre pour toutes celles et ceux qui étaient impliqués dans la préparation de la Coupe du Monde de Rugby 2021, leur tournoi à domicile dont le coup d'envoi serait donné moins de 11 mois plus tard.

Cependant, 357 jours plus tard, le désespoir s'est transformé en joie intense. Onze des 23 joueuses de l'équipe qui a subi cette douloureuse défaite en fin de tournée étaient présentes le 12 novembre lorsque les Black Ferns ont battu l'Angleterre en finale de la Coupe du Monde de Rugby 2021.

Les scènes dans le vestiaire de l'Eden Park - qui affichait complet - étaient tout sauf tristes. Il n'y avait qu'à voir la tête des filles qui portaient des lunettes de soleil pour fêter le sixième titre de l'équipe en Coupe du Monde de Rugby.

« Cela a été un véritable défi », a reconnu Ruahei Demant, co-capitaine des Black Ferns, quelques instants après avoir mené son équipe à la gloire à Auckland.

« Nous avons fait tant de sacrifices pour avoir la chance unique de gagner une Coupe du monde à domicile - et nous l'avons fait ! »

BESOIN DE CHANGEMENT

Demant avait disputé les quatre matchs de la tournée malheureuse en Europe au mois de novembre précédent et sans doute aucune autre Black Fern ne symbolisait-elle mieux le parcours de l'équipe que celle qui a été élue Joueuse Mastercard de la finale de la Coupe du Monde de Rugby 2021.

Mais comment Ruahei Demant et ses coéquipières ont-elles réussi à renverser la situation pour devenir des championnes du monde de rugby, battant au passage la France et l'Angleterre ?

Selon Alcie Soper, joueuse devenue chroniqueuse, les tournois qui se sont déroulés en Angleterre et en France à la fin de l'année 2021 ont montré qu'il n'était pas possible de continuer sur la même voie.

« Les gens se sont vite aperçus que l'Angleterre en particulier avait progressé et avait monté d’un niveau », explique Soper à World Rugby.

« Il était donc clair qu'il fallait faire des changements et les faire rapidement si nous voulions être dans les meilleures conditions pour être vraiment compétitives [à la Coupe du Monde de Rugby 2021]. »

Le changement est arrivé en la personne de l'entraîneur Wayne Smith, deux fois champion du monde de rugby chez les hommes, qui a été convoqué, initialement en tant qu'entraîneur technique, au début du mois d'avril.

Smith connaissait bien l'équipe nationale féminine puisqu'il l'avait déjà aidée de manière informelle dans les années 1990, sous le règne de Daryl Suasua.

Lors de sa nomination, il a déclaré que son désir de s'impliquer avec les Black Ferns « a commencé en hommage » à son ami Laurie O'Reilly, la première personne à avoir entraîné la Nouvelle-Zélande lors d'une Coupe du Monde de Rugby féminin.

« Je lui ai dit avant son décès que j'aiderais le rugby féminin de toutes les manières possibles et maintenant j'en ai l'occasion », avait-il ajouté à l'époque.

FAIRE AUTREMENT

Ce lien avec le passé a facilité la prise de fonction de Smith et lui a permis de faire appel à plusieurs amis de l'époque des All Blacks.

« Il avait une idée de qui était là et savait aussi quelles étaient les différences. Mais avec ces différences viennent aussi les opportunités.

« Quand vous avez toutes les anciennes qui disent, 'oh oui, on se souvient de Wayne, c'était un bon gars’... vous savez les filles se parlent beaucoup entre elles, entre les anciennes et les jeunes. Et elles ont passé le message que les filles pouvaient lui faire confiance aussi.

« Et puis, bien sûr, toutes ces femmes connaissaient très bien son palmarès dans le rugby masculin, aussi. Elles ont toujours envie d'apprendre. Alors si se présente l'occasion d'apprendre des meilleurs, pourquoi ne pas y réfléchir à deux fois ? »

 Pour les joueuses, travailler sous la direction de Smith les a fait sortir de leur zone de confort et leur a fait voir le rugby différemment.

« Je me souviens du premier stage auquel Smithy est venu, et la première nuit du premier stage, nous avons eu une séance de coups de pied, et c'était tout le contraire de ce qu'on m'avait dit et j'étais comme 'oh...' », a admis Ruahei Demant.

« Il a dit qu'il n'avait jamais voulu faire comme les autres et qu'il faisait toujours les choses de manière différente. C'est exactement le type d'entraîneur qu'il est.

« Je pense que le défi le plus difficile pour nous en tant que joueuses n'était pas d’un point de vue technique, mais l'état d'esprit. Il nous a vraiment mises au défi. »

Les premiers signes de l'influence de Smith sur l'équipe se sont manifestés lors des World Rugby Pacific Four Series en juin 2022, au cours desquelles les Black Ferns ont battu l'Australie, le Canada et les États-Unis pour remporter le titre.

La Nouvelle-Zélande n'était pas encore complètement à l’aise, et le match d'ouverture a été un avertissement pour les Wallaroos, qui ont mené 10-0 à Tauranga avant de s'incliner 23-10.

« Si quelqu'un prétend qu’en regardant le Pac Four il s’est dit que cette équipe serait sacrée championne du monde, c’est sûr qu’il ment », affirme Alice Soper.

« Oui, nous avons gagné, mais certains de ces matchs étaient assez difficiles... la clé de tout ce jeu de confiance, etc. est le timing. Et donc, il faut un certain temps pour que ce timing fasse tilt. »

L'EXPÉRIENCE DES GRANDS MATCHS

Ruby Tui a fait ses débuts lors des Pacific Four Series, mais ce qui a sans doute fait passer l'équipe à un niveau supérieur, c'est l'arrivée dans le groupe de plusieurs de ses coéquipières de l'équipe olympique.

Sarah Hirini, Portia Woodman-Wickliffe, Theresa Fitzpatrick et Stacey Fluhler ont toutes joué un rôle important dans le succès des Black Ferns, tout comme Tui, et leur retour à XV a été facilité par l’arrivée de leur ancien entraîneur de rugby à sept, Allan Bunting.

Woodman-Wickliffe, qui n’allait pas tarder à devenir la meilleure marqueuse d'essais de l'histoire de la Coupe du Monde de Rugby, a inscrit un triplé lors du premier match de la Coupe du Monde de Rugby 2021 contre l'Australie, permettant aux Black Ferns de remonter un déficit de 17-0 pour s'imposer 41-17.

Tui a également aplati deux fois le ballon à l'Eden Park, qui était plein à craquer, et a franchi la ligne à chacune de ses apparitions avant la finale, y compris lors de la demi-finale contre la France, où elle a marqué un essai décisif.

Son essai contre les Bleues a été encadré par les exploits de Fluhler et de Fitzpatrick. Les deux coéquipières de l'équipe de rugby à sept ont constitué une formidable paire de centres lors de la Coupe du Monde de Rugby 2021.

C'est Fluhler qui a fait pencher la balance en faveur de la Nouvelle-Zélande lors de la finale contre l'Angleterre, en marquant un essai magnifique au début de la seconde période. Lorsqu'elle s'est blessée dans les 10 dernières minutes, elle est sortie en boitant sous une ovation méritée de la majorité des 42 579 fans présents.

« Elles sont entrées en jeu et ont apporté la confiance mais aussi le professionnalisme », souligne Soper.

« Ce sont des athlètes à plein temps, elles le sont depuis une dizaine d'années maintenant, et elles peuvent donc venir combler une grande partie de ce fossé et montrer la voie à suivre.

« Mais elles ont aussi connu une grosse expérience mondiale, des matchs à haute tension, les Jeux du Commonwealth, les finales olympiques, et elles ont acquis cette résistance lors des play-offs pour tenir le coup dans ces situations difficiles.

« Et je pense qu'une fois de plus, on l’a vu avec Stacey Fluhler. Je sais que Ruahei a été élue joueuse du match en finale, mais je pense que Stacey a joué l'un des meilleurs matchs que je lui ai vus jouer à XV.

« On leur a appris à appréhender ces tensions. Elles peuvent donc apporter ce qu'elles ont appris et quand vous avez ce noyau de joueuses qui sont réparties sur tout le terrain, il est difficile de ne pas être stimulé par ces joueuses qui arrivent. »

UN HÉRITAGE DURABLE ?

Deux mois après cette soirée magique à l'Eden Park, quel héritage Alice Soper espère-t-elle que Demant, Fluhler et leurs partenaires championnes du monde de rugby laisseront derrière elles en Nouvelle-Zélande ?

« Il y a une vague croissante pour le sport féminin en Nouvelle-Zélande depuis un certain temps, et c'était en quelque sorte le moment où elle a déferlé et s'est abattue sur tout le monde », dit-elle. « On ne peut plus passer à côté.

« Cette victoire a placé notre équipe dans une nouvelle dimension, pas seulement dans les consciences, mais aussi dans les cœurs.

« Les gens aiment notre équipe aujourd’hui comme ils l’ont jamais aimée avant. Donc, hors de question de maltraiter quelque chose que l’on aime, de ne pas investir dessus ou de ne pas l’encourager.

« Je pense que les Black Ferns ont atteint un nouveau palier, comme notre équipe des Black Ferns Sevens l'a fait pendant un certain temps. Les gens aiment cette équipe, ils veulent la soutenir et la voir progresser.

« Je pense que c'est la responsabilité qui découle de cette visibilité, qui sera l'héritage pour les années à venir. »