Debbie Chase a foulé la pelouse du Memorial Ground le 6 avril 1991 avec un sentiment de responsabilité sur les épaules.

Non seulement elle allait faire ses débuts en compétition pour la Nouvelle-Zélande, à l'occasion du match d'ouverture de la première Coupe du Monde de Rugby féminin, mais elle avait été sélectionnée pour écrire une autre page de cette histoire.

À la veille du tournoi, le sélectionneur de la Nouvelle-Zélande, Laurie O'Reilly, avait reçu la confirmation que les anciens Māori de son pays avaient autorisé son équipe à exécuter un Haka.

Avant la rencontre avec le Canada dans la banlieue de Cardiff, Debbie Chase avait formé 12 de ses coéquipières - deux joueuses originaires des îles Cook et des Samoa n'avaient pas reçu l'autorisation de participer au rituel - pour interpréter le « Ka Mate ».

Ce faisant, elle est devenue la première joueuse à diriger une équipe de rugby néo-zélandaise dans un Haka.

« Mon souci était que nous ayons la permission de la tribu dont c'était le Haka », explique Chase à World Rugby, « parce que j'ai pensé que si [O'Reilly] ne le faisait pas, alors c’est moi qui devais l’exécuter. Et une fois que vous êtes lancé, vous ne pouvez pas revenir en arrière. »

BRISER LES BARRIÈRES

Chase et ses coéquipières n'avaient eu que quelques jours pour pratiquer le rituel, mais elles étaient déterminées à lui rendre honneur et à « montrer à ces hommes comment faire le Haka ».

« Mon principal objectif était de faire en sorte que nous n'ayons pas l'air idiotes ou d'une bande de filles qui sautent dans tous les sens, mais que nous puissions réellement être fidèles à la représentation stricte du Haka et que nous ne soyons pas cataloguées comme des apprenties », ajoute-t-elle.

« Quand on est petit et qu'on grandit, on observe ses frères qui apprennent le Taiaha, le Haka, et on nous dit : "Non, les filles ne font pas ça. Les filles n'ont pas le droit de faire ça".

« Tout tournait autour de ce qu’on voyait en grandissant en tant que filles, de ce qu’on n'avait pas le droit de faire, de ce qu’on ne pouvait pas faire, et de cequ’on nous disait quoi faire. »

Heureusement pour Chase et ses coéquipières précurseurs, leur interprétation du rituel a été bien accueillie et a sans doute contribué à leur victoire 24-8 sur le Canada à Ely.

Debbie Chase a marqué deux des six essais de son équipe et a reçu des éloges dans les comptes rendus de match dans les journaux du lendemain. Le seul inconvénient étant qu'au moins une de ces publications a publié une photo mal légendée du moment historique de l'équipe.

« C'est une blague courante chez nous parce qu'il y a une photo de nous en train de faire le Haka », raconte Natasha Wong, la partenaire centrale de Chase en 1991, à World Rugby.

« Chasey était en fait en train de diriger le Haka, mais il est écrit, Natasha Wong dirigeant le Haka. Donc, c'est assez drôle. »

BESOIN QU'UN TRUC SE PASSE

Comme beaucoup de membres de l'équipe de Nouvelle-Zélande qui s'est rendue dans le sud du Pays Galles pour le tournoi de 1991, Debbie Chase et Natasha Wong ont été repérées par Laurie O'Reilly, qui avait le don de détecter le potentiel rugbystique de joueuses issues de différents sports.

Chase avait un passé de sportive particulièrement éclectique, même selon les normes du rugby féminin au début des années 1990.

« Ma mère reste l'entraîneure la plus dure de l'histoire du rugby féminin », explique-t-elle, ayant fait ses premiers pas en athlétisme à l'âge de trois ans seulement.

En 1991, Debbie était championne nationale du lancer de disque et du javelot et représentait la Nouvelle-Zélande au softball ainsi qu'au rugby, tout en jouant au basket-ball et au rugby league à un haut niveau.

En raison de son implication dans le championnat à XIII, sa place dans l'équipe de la première Coupe du Monde de Rugby féminine n'a été confirmée qu'après sa réintégration par la New Zealand Rugby Union.

Mais une fois la réintégration obtenue, elle est devenue partie intégrante de la manière dont O'Reilly voulait que son équipe joue au Pays de Galles.

« Je l'entendais toujours sur la ligne de touche », se souvient Debbie Chase. « Vous pouviez être dans le public, pour la Coupe du monde, par exemple, et on pouvait l'entendre.

« Il avait l'habitude de dire : 'Chase, on a besoin qu’il se passe un truc, on a besoin qu’il se passe un truc ! Et j'entendais ça, et c'était, exact, il fallait qu’un truc arrive et d'une manière ou d'une autre, je faisais toujours en sorte que ça arrive. »

UNE FIN SANS JUS

Chase garde un excellent souvenir de ces huit jours passés dans le sud du Pays de Galles, où elle s'est amusée sur et en dehors du terrain et a noué des amitiés durables avec des joueuses des autres équipes, en particulier celles d'Espagne.

Cependant, le tournoi n'a pas eu de fin heureuse pour elle, Wong ou leurs coéquipières, car elles ont été battues 7-0 en demi-finale par les futurs championnes, les États-Unis.

L'équipe s'était rendue au Pays de Galles via Los Angeles et Londres, en jouant des matchs de préparation en chemin, et Chase pense que la fatigue les a rattrapées au Cardiff Arms Park.

« C'était très dur car nous étions prêtes à aller jusqu'au bout », affirme-t-elle. « Nous pensions vraiment que nous avions l'équipe pour aller jusqu'au bout.

« Mais lorsque nous avons joué cette demi-finale, nous n'avons jamais été aussi à plat physiquement. Je pense que nous avions besoin d'un jour de repos supplémentaire, au moins un, nous n'avions pas récupéré du dernier match... nous n'avions tout simplement plus de jus. »

Bien qu'elle soit dans la « meilleure forme que j’avais jamais eue » trois ans plus tard, Debbie Chase se voit refuser la chance de participer à la RWC 1994, la Nouvelle-Zélande ne participant pas à la compétition.

Elle suivra cependant avec enthousiasme le coup d'envoi de la compétition à Auckland le mois prochain.

« J'ai toujours su que les mentalités changeraient et que ce ne serait qu'une question de temps », confie-t-elle.

« Je suis très heureuse que le tournoi se déroule en Nouvelle-Zélande. Il y a tellement de ferveur, les jeunes filles de la communauté, elles sont fans des joueuses, elles ont des étoiles dans les yeux.

« Elles voient leurs joueuses préférées jouer et elles veulent faire pareil. Ce sont des modèles fantastiques qu'elles ont avec le rugby féminin néo-zélandais. »