A main gauche Safi N’Diaye, 86 sélections au compteur et partie pour une troisième Coupe du Monde de Rugby en Nouvelle-Zélande du 8 octobre au, espère-t-elle, 12 novembre. A main droite, Lina Queyroi, deux sélections seulement (obtenue en septembre) et qui s’apprête à faire ses débuts sur la plus belle scène de rugby au monde. Entre les deux, un gouffre d’expérience mais une même volonté acharnée de devenir championnes du monde.

« Je ne m’attendais pas du tout à cette sélection », confie Lina, 21 ans, qui avait intégré le groupe élargi du XV de France féminin en juillet. « C’est une fierté de faire partie de ces 32 et je suis très contente d'y être. Ça faisait plus d’un mois qu’on s’entraînait pour faire partie de cette liste et le fait d'être dedans et de savoir qu'on y va c'était un soulagement et un plaisir. »

Formée à Payzac-Savignac, en Dordogne, avec les garçons, la trois-quarts polyvalente et demie d’ouverture, fan de Dan Carter, est déjà une championne : championne d’Europe U18 à 7 et double championne de France à XV avec les U18 ; titre qui reste son souvenir le plus marquant… pour l’instant.

« C'est beaucoup de souvenirs, beaucoup de partage avec les copains quand on était sur le terrain », dit-elle. « J'ai commencé avec ma sœur (Maylis, ndlr) et je me souviens des premiers pas qu'on a fait ensemble. Et d'arriver là, ça nous fait nous souvenir de là d’où on est parti. C'est important de repenser à là où on a commencé. Je sais qu’à Payzac ils sont tous très fiers de moi et ils me suivent, ça fait plaisir. »

LA FIN DE CARRIERE DE SAFI

A l’inverse, la première sélection internationale de la puissante deuxième-ligne Safi N’Diaye remonte à dix ans. Et dans toute sa carrière, elle a cumulé les honneurs : deux titres de championne de France avec Castres (là où elle a commencé à l’âge de 12 ans), six avec Montpellier, deux grands chelems et deux victoires au Tournoi des Six Nations. Il lui manque un titre de championne du monde – elle était médaillée de bronze en France en 2014 comme en Irlande en 2017 – avant de mettre un terme à sa prolifique carrière, comme elle l’a annoncé.

« C'est une Coupe du monde que j'attendais depuis longtemps qui a été reportée déjà d'un an à cause de la pandémie. Donc une réelle fierté de pouvoir participer à ma troisième Coupe du monde, sur les terres du rugby en Nouvelle-Zélande avec tout ce que ça implique derrière », dit-elle.

« Cette dernière aventure, je la vis pleinement. C’est profiter de chaque instant, savourer, se rendre compte de la chance qu'on a, partager tous les moments avec les filles sur le terrain, partager mon expérience, se rendre compte de la chance qu'on a à chaque fois, chaque maillot porté.

« C'est quand on est plus vers la fin qu’on réalise aussi le chemin parcouru et on savoure. Je suis vraiment dans un moment de ma carrière ou je savoure chaque instant, chaque moment, je prends tout ce qu'il y a à prendre. »

LA FRANCE CONFIANTE

La France est attendue au tournant et devra donc gérer cette pression supplémentaire. Elle, la quatrième équipe mondiale, est considérée comme étant capable de faire chuter la Nouvelle-Zélande, actuelle championne du monde, et l’Angleterre, actuelle numéro un mondial et ultra favorite.

Mais la récente défaite 26-19 face à l’Italie (5e au classement mondial féminin World Rugby présenté par Capgemini) à Biella le 9 septembre – en match retour de ses deux matchs de préparation – a refroidi les ardeurs et commencé à instiller le doute chez les observateurs. Mais pas parmi les joueuses qui donneront le coup d’envoi de cette Coupe du Monde de Rugby 2021 le 8 octobre face à l’Afrique du Sud à l’Eden Park à Auckland.

« On n'est pas dans l'appréhension », tranche Safi N’Diaye. « On sait très bien que chaque équipe travaille très dure et l'Italie progresse aussi chaque année. On sait qu’on n’a pas été au niveau pendant cette préparation mais on n'est pas inquiètes. On sait de quoi on est capable, on sait ce qu'on peut faire sur le terrain. On n'a pas perdu notre rugby comme ça. Ça a été un déclic mental et le groupe s’est resserré. On va pouvoir travailler vraiment ensemble, trouver des repères un peu plus fins entre nous et on a hâte d'avoir ce premier match. »

Cette défaite coïncidait également avec le baptême du feu de Lina Queyroi. Sa première titularisation – après sa première sélection une semaine avant contre le même adversaire - a été quelque peu perturbée.

« C'était un peu mitigé », admet-elle. « Avec ce qui s'est passé sur le terrain où on n’a pas fait un excellent match et où on perd en Italie, ça a un peu changé la donne. Mais c'est toujours une fierté d'avoir le maillot de l’équipe de France. J’étais pour ma part bien entourée et on a un groupe qui sait mettre à l'aise les jeunes. »

« C'est sûr qu'on aurait été plus en confiance si on avait eu deux belles victoires », ajoute Safi N’Diaye. « Mais en même temps, ça nous permet de travailler, de rester vraiment les pieds sur terre et de se rendre compte que chaque équipe travaille, qu'il n’y aura pas de match facile. C'est une Coupe du monde, c'est une nouvelle aventure que voilà, on repart à chaque fois à zéro. C'est vraiment une compétition à part avec l'environnement et tout ce qui se passe autour de nous.

« Mais on sait ce dont est capable l'équipe de France ces dernières années. On a réussi par exemple à battre la Nouvelle-Zélande, à battre l'Afrique du Sud aussi. Donc maintenant on s’est resserré, on s'est parlé, on s'est dit les choses. On travaille très dur. On a les entraînements de qualité. On a hâte. »

DE GROS MOYENS EN PLACE

Demi-finaliste lors de la première édition en 1991, la France n’a jamais pu percer le plafond de verre de la troisième place en Coupe du Monde ; classement obtenu en 1994, 2002, 2006, 2014 et 2017, soit dans cinq des huit précédentes éditions.

« Ça fait cinq ans qu'on travaille très dur pour être championnes du monde », rappelle Safi N’Diaye. « La Fédération ne met pas des moyens en place pour qu'on ne soit pas qualifié ou qu'on soit troisième. Moi j'y pense tous les jours, quand c'est dur, quand je vais à l'entraînement…

« L’équipe de France n'a jamais été championne du monde chez les féminines et c’est ce qui nous motive tous les jours. La fédération met tous les moyens en place pour qu'on soit championnes du monde. Ils ont mis aussi tous les moyens en place pour que l'équipe de France à 7 soit championne olympique et elles ont ramené la médaille d'argent.

« On est une grande équipe. On a déjà battu les meilleurs. Si on n'a pas cette ambition, on n'est pas l'équipe de France. C'est une ambition qu'on doit avoir et on sait que ça sera difficile, on sait que toutes les équipes se préparent très dur.

« On n'est pas prétentieuses. On sait qu’on va arriver là-bas pas en favorites, mais justement. Il y a des filles qui ont une expérience dans le groupe et des filles qui arrivent avec plein d'envie avec cette jeunesse, cette fougue. Et avec ce combo on espère aller le plus loin possible. »

FAIRE REVER

L’enjeu est également important pour la fédération française de rugby qui fait remonter à 2014, date à laquelle elle avait accueilli la Coupe du Monde de Rugby sur ses terres, le début du boom du rugby féminin en France. Depuis huit ans, le nombre de licenciées ne cesse de croître d’une année sur l’autre, parallèlement aux performances des équipes de France à XV et à 7.

« C'est sûr que c'est des événements comme ça qui vont faire évoluer le sport féminin et le rugby féminin », confirme Safi N’Diaye. « Il y a eu beaucoup de médias qui nous ont suivis, les gens nous connaissent vraiment. Donc c'est évident que c'est une de nos missions aussi de pouvoir créer des vocations. Il y aura peut-être des petites filles ou des petits garçons qui vont pour la première fois voir un match de rugby et un match de rugby féminin et qui ont envie aussi de rêver de faire comme nous et d'un jour peut-être porter le maillot bleu.

« C’est une de nos missions et on espère qu'on pourra transmettre énormément d'émotions parce qu’on fait ce sport pour avoir des émotions mais aussi pour en donner. Sur le terrain on va essayer de se régaler un maximum pour transmettre tout ça et que ça puisse faire encore évoluer le rugby féminin.

« C'est vrai qu’en dix ans on a vu une évolution énorme. Mais on sait que si on fait des bons résultats, si on crée des émotions, si on fait rêver les gens, on aura encore des retombées pour le rugby féminin. »

Photo : @Julien Poupart / France Rygby