C’est à Yoff, dans les quartiers Nord de Dakar, sur la pointe ouest du Sénégal, que le projet de Maison du Rugby a vu le jour. Au départ, il y a un homme, un Français, Gilles Marchand, originaire de Chartres et qui a vécu à Avignon.
C’est chez lui que la toute première Maison du Rugby voit le jour dans un secteur de la capitale sénégalaise où la coutume et les traditions restent fortes. Une douzaine d'enfants de Grand Yoff, les Arafat boys, essuient les plâtres.
A cette époque, beaucoup de jeunes dits vulnérables peuplent les rues. « Il y avait beaucoup de jeunes qui n’étudiaient pas et qui ne connaissaient que la pêche », raconte Edvige Manga qui est arrivée en tant qu’éducatrice en 2011.
« Quand Guédel Ndiaye (président de la Fédération sénégalaise de rugby, ndlr) a demandé qu'on ouvre une maison de rugby, Gilles a aussitôt trouver une maison à louer à Yoff près de chez lui. C'est un projet de la fédération sénégalaise de rugby. Au début tout le monde disait que la location était chère et qu’on ne devait pas le mettre à Yoff mais finalement, on l'a ouvert. »
Les jeunes ont trouvé un « chez eux »
La maison est modeste et chaleureuse. On y trouve trois bureaux, une salle informatique, un salon, une salle TV, un magasin, une cuisine, des sanitaires et une terrasse. Un petit jardin sur le côté est planté de belles fleurs que les jeunes arrosent. Le terrain de sport n’est qu’à deux minutes à pied et la plage encore un tout petit peu plus loin.
L’idée de base est toujours d’actualité : éduquer par le rugby, les former afin qu’ils réussissent leur parcours scolaire et qu’ils deviennent des citoyens modèles. Audacieux dans un pays où les sports collectifs sont dominés par le football et le basket. Mais le rugby a ceci d’indispensable qu’il véhicule des valeurs fortes : l’engagement, le respect, la solidarité, la convivialité, le dépassement de soi…
« C’est surtout la curiosité qui les a poussés à venir au début », raconte Edvige Manga. « C’est la première fois qu’ils entendaient le mot rugby et ils voulaient découvrir ce que c’était. Beaucoup sont aussi là grâce à leurs amis. »
Ils sont quelques centaines de jeunes de 7 à 17 ans, garçons et filles mélangés, à avoir poussé les portes de la Maison du Rugby pour y trouver un lieu d’épanouissement par des activités éducatives et sportives. Promouvoir la mixité sociale, l’égalité des chances et la quête de l’excellence, par l’éducation et le sport est la vision de cette organisation caritative.
« Notre mission est d’améliorer les perspectives d’insertion sociale d’enfants et de jeunes Sénégalais à travers la pratique du rugby, le renforcement éducatif, la sensibilisation à la citoyenneté, la formation et un appui à l’insertion professionnelle », disent les promoteurs du projet.
L’alimentation, une des clés de la réussite
Cela passe par l’aide aux devoirs, le suivi sanitaire des jeunes, une bonne alimentation, la formation, l’insertion professionnelle, le sport… Depuis peu, ils ont ajouté la boxe et la natation au programme des activités.
Un principe qui ne déroge pas lorsque les enfants arrivent : ils bénéficient d’un goûter consistant. « Parce que certains jeunes ne mangent pas chez eux », confirme Edvige. « Certaines familles ne font qu’un repas par jour, alors on leur donne à manger avant d’aller au sport ou au soutien scolaire. Le jeune se sent chez lui, comme s’il était avec ses parents. »
Inévitablement, au début ce projet a suscité de la méfiance de la part de quelques parents. Et progressivement ils se sont investis, suivent l’évolution de leurs enfants, participent aux activités.
« L’idée de Gilles était de faire de ce lieu un vivier, d’arriver à changer les mentalités de certains jeunes et de certains parents. Il aime aider, c’est ce qui le motive. Et ça a fonctionné ! Par exemple au début on ne pouvait pas rester dix minutes sans que des jeunes se bagarrent. Nous avons édicté des règles et aujourd’hui les valeurs sont ancrées. »
Edvige elle-même n’y connaissait rien au rugby lorsqu’elle a été embauchée en tant qu’éducatrice. « Je ne savais même pas qu’il y avait du rugby au Sénégal ! », rigole-t-elle. « J’ai beaucoup appris, j’ai suivi une formation d’entraîneure de rugby, une autre pour les premiers secours et aujourd’hui je suis responsable de la formation et de l’insertion professionnelle. »
Elle a joué au rugby pour le fun, « parce que je n’aime pas les plaquages ». Et aujourd’hui, la Maison du Rugby compte plus de filles que de garçons. « Parce qu’elles sont plus combattantes que les hommes ! », s’esclaffe l’éducatrice.
La solidarité comme moteur de développement
Edvige a été touchée par le fort sentiment de solidarité qui s’est développé au fil des ans. Derrière son bureau, elle aime montrer un grand tableau accroché au mur. Aux couleurs du Sénégal, on y voit des noms par dizaines. Ce sont les jeunes qui lui ont offert un jour alors qu’elle était missionnée auprès de la fédération sénégalaise de rugby. « Mama Edvige », comme on l’appelle, en a eu les larmes aux yeux.
Ce passage par la Maison du Rugby permet de mettre tous les jeunes sur un même pied d’égalité, de trouver leur place dans la société. Certains viennent en jouant les gros durs quand d’autres fuient les regards des autres. Autour de l’assistante sociale, tous arrivent à trouver leur vraie personnalité grâce au révélateur rugby.
En une douzaine d’années d’existence, la Maison du Rugby a changé la vie de centaines de jeunes parmi lesquels certains se sont distingués au plan national et international. Ainsi, Sylvain Mané est devenu arbitre après avoir été international pour l’équipe du Sénégal.
Deux éducatrices sont également aujourd’hui des joueuses de haut niveau : Mariama Ba et Dieynaba Camara. On les a vu dernièrement avec les Lionnes à Alexandrie sur le tournoi Sevens en Egypte. De plus, la majeure partie des membres de l’équipe U20 du Sénégal est passée par la Maison du Rugby.
Face au succès de cette initiative, la fédération réfléchit à développer le modèle ailleurs et à l’implanter dans les 14 régions du Sénégal. « « Si on pouvait avoir d’autres écoles, d’autres Maisons du Rugby dans chaque région, ce serait l’idéal. Au moins cinq déjà, ce serait très bien », se prend à rêver Edvige.
Les douze premières années ont prouvé comment le rugby pouvait rendre des jeunes sans repères meilleurs. La voie est tracée pour l’avenir.
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