Les joueurs se préparent à vivre le plus grand match de leur histoire, la finale de la Coupe du Monde de Rugby 1995, lorsqu'on frappe à la porte. Celle-ci s'ouvre sur le président de l'Afrique du Sud, Nelson Mandela lui-même. Il porte sur son dos le maillot du n°6, celui de Francois Pienaar, le capitaine.
« Je n'en revenais pas de voir Monsieur Mandela dans notre vestiaire avant la finale avec le maillot des Springboks sur le dos », se rappelle Franois Pienaar. « J'ai dû vite me reconcentrer et calmer les gars avant qu'on rentre sur le terrain. »
Mandela avait été élu président l'année d'avant et avait un message spécial à porter à l'ailier Chester Williams qui était alors le seul joueur de couleur de cette équipe ce jour-là : « Je suis fier de vous. Rendez le reste de l'Afrique du Sud aussi fier que je le suis », lui a-t-il soufflé.
Chester Williams, la légende
Chester Williams avait été le visage de la Coupe du Monde de Rugby 1995. Son immense sourire était placardé sur tous les panneaux d'affichage du pays. Mais une blessure survenue lors d'un match de préparation contre les Samoa l'avait écarté du groupe des Springboks. Ce n'est qu'après la suspension de Pieter Hendricks qu'il a eu sa chance de revenir.
Pour ses débuts en Coupe du Monde, lors du quart de finale contre les Samoa, Chester Williams est devenu le premier joueur de l'Afrique du Sud à marquer quatre essais en un match. C'est ce qui lui a permis de disputer la demi-finale contre la France, puis la victoire 15-12 en extra-time en finale contre la Nouvelle-Zélande.
« C'était la première Coupe du Monde à laquelle l'Afrique du Sud participait. On était le pays d'accueil, on a gagné et on a aidé à unifier le pays », avait l'habitude de raconter Chester Williams, décédé en septembre 2019. « Tout le monde était tellement heureux : blancs, noirs, tout le monde ! Ce jour-là, nous sommes tous devenus des légendes et après ce match tout s'est mieux passé dans le pays. »
La photo de Mandela remettant la Webb Ellis Cup à Francois Pienaar est devenue un symbole. « C'est le moment le plus grandiose que j'ai jamais vécu », admet Pienaar qui a fait don de son maillot au World Rugby Hall of Fame. « C'était incroyable de l'avoir fait en Afrique du Sud avec Monsieur Mandela à mes côtés et qui portait le même maillot que moi... »
Et Bryan Habana découvrit le rugby
Dans les tribunes du Ellis Park, le petit Bryan Habana avait 12 ans ce jour-là et assistait à cette rencontre avec son père. Bryan avait été prénommé ainsi en hommage au capitaine de l'Angleterre et de Manchester United, Bryan Hobson. Et lui aussi rêvait de devenir footballeur un jour, jusqu'à ce que le rugby fasse une entrée fracassante dans sa vie à l'occasion de cette Coupe du Monde.
Il n'a rien perdu du parcours des Springboks cette année-là, de la première victoire contre l'Australie (27-18) jusqu'à la finale. « C'était la première fois que je voyais un match de rugby et je ne connaissais même pas les règles », rigole-t-il. « Mais c'était une expérience magnifique. Je me souviens combien nous étions fiers d'être Sud-Africains. Vivre dans cet état euphorique m'a vraiment inspiré pour la suite. Ça m'a donné envie de m'investir dans le rugby et de rendre à mon pays l'émotion qu'il m'avait procuré. »
En 2007, lui aussi sera sacré champion du monde. Lui qui aura joué dans sa carrière 124 tests et aura marqué 67 essais, dont quatre contre les Samoa en match d'ouverture de la RWC 2007 (victoire 59-7), comme Chester Williams avant lui. Il aura passé la ligne huit fois en tout dont deux en demi-finale contre l'Argentine et une fois en finale contre l'Angleterre.
La révélation Siya Kolisi
Il portait le même numéro que Chester Williams lorsque l'Afrique du Sud a battu l'Angleterre 15-6, douze ans plus tard. Et devant la télé du township de Port Elizabeth à ce moment-là ce tenait un autre tout jeune gars, Siya Kolisi.
« On regardait la télé dans une taverne parce qu'à cette époque on n'avait pas la télé à la maison », racontait l'actuel capitaine des Springboks lors de la RWC 2019. « Je me souviens de ce que cette victoire nous a apportés en 2007, je n'avais jamais vu les gens comme ça autour d'un événement sportif. »
Kolisi avait 16 ans lorsque Habana et ses coéquipiers ont soulevé la Webb-Ellis Cup à Paris. Moins de six ans plus tard, il ferait ses débuts avec les Springboks à côté de son idole.
Bien plus tard, le 2 novembre 2019, Kolisi est devenu le premier capitaine noir de l'Afrique du Sud, lui aussi menant son pays vers le sacre mondial, le jour de sa 50e sélection. Clin d’œil de l'histoire, il portait lui aussi le maillot n°6, celui de Pienaar et de Mandela. Et dans les tribunes, le président (noir) de l'Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, portait lui aussi le maillot de Kolisi sur ses épaules.
« Le président Ramaphosa est arrivé au stade et lorsqu'il m'a vu, ses premiers mots ont été : 'très bien, maintenant je sais qu'on va gagner' », sourit Francois Pienaar. « Je l'ai regardé et je lui ai dit : 'Président, avez-vous le n°6 avec vous ?' Il m'a répondu oui. Et là je lui ai dit : 'Très bien, maintenant je sais qu'on va gagner !' »
Dans cette équipe des Springboks, on comptait alors sept joueurs de couleur. Et la victoire sur l'Angleterre a été éclatante, 32-12. « Nous avions un but et nous l'avons réalisé », assure Kolisi.